Chapitre 12Les étapes du débat
Le consentement unanime
À certains moments, la Chambre peut choisir de s’écarter des règles qu’elle s’est données, de les modifier ou de les simplifier. Pour apporter des modifications importantes ou permanentes à ses procédures ou pratiques, la Chambre a normalement recours à une motion précédée d’un avis ; toutefois, on s’entend souvent sur des changements ad hoc en obtenant le consentement de tous les députés présents au moment où il est proposé de s’écarter des règles ou pratiques habituelles. Les règles ou pratiques en question sont suspendues avec ce qui est appelé « le consentement unanime » de la Chambre387. Lorsqu’on demande le consentement unanime, la présidence prend soin de vérifier qu’il n’y a absolument aucune opposition ; si une seule voix exprime sa dissidence, il ne peut y avoir unanimité388. Lorsque la Chambre prend une telle décision du consentement unanime, le fait est consigné dans le compte rendu officiel389. Lorsque la Chambre suspend ou modifie plus d’une règle à la fois, chaque motion correspondante énonce en détail la façon dont la Chambre doit procéder afin d’éviter toute confusion390.
Selon toute apparence, c’est pour passer outre aux exigences du Règlement en matière d’avis qu’on a recours le plus fréquemment au consentement unanime391. Par exemple, on le demande pour déroger à l’obligation de fournir un avis pour les motions de fond392, lesquelles peuvent ensuite être présentées et faire l’objet d’une décision de la Chambre. On a présenté des projets de loi sans avoir déposé l’avis requis393 ; de même, après avoir obtenu le consentement unanime, on a présenté et réglé sur-le-champ des motions autorisant des comités à se déplacer ou à modifier leur composition (ce qu’on appelle les questions d’ordre administratif394). Il n’est pas rare non plus qu’un rapport de comité soit présenté et adopté le même jour avec le consentement unanime de la Chambre395. Il est aussi arrivé, à l’occasion, qu’on prolonge le délai à respecter pour remettre un avis au Greffier avant une période d’ajournement en demandant le consentement unanime396. De plus, on l’a également demandé pour présenter sans avis une motion visant à modifier le Règlement ; le consentement a été accordé, et la motion adoptée sans débat397.
En règle générale, on obtient le consentement unanime pour accélérer les affaires courantes ou permettre des échanges de politesses à la Chambre. En cours de débat, on a demandé le consentement unanime pour prolonger brièvement la durée des discours ou la « période de questions et d’observations » après les discours398 ; autoriser le partage du temps de parole399 ; autoriser un député étant déjà intervenu sur une question à faire des observations additionnelles400 et même pour modifier l’ordre habituel d’intervention des députés401.
Il arrive aussi fréquemment qu’on organise les travaux de la Chambre en ayant recours au consentement unanime. Il peut s’agir d’une modification de l’ordre des travaux402, de la suspension de séances403, du réaménagement des heures d’ajournement ou des jours de séance404 et d’ordres spéciaux concernant la procédure à suivre pour des événements particuliers405. On modifie souvent l’ordre établi des travaux quotidiens de la Chambre, notamment en ce qui concerne la séquence des Affaires courantes, en demandant le consentement unanime pour revenir à une rubrique des Affaires courantes406. Ainsi, les députés qui, par inadvertance, ont laissé passer l’occasion d’intervenir sous les rubriques « Dépôt de documents », « Présentation de rapports de comités », « Dépôt de projets de loi émanant des députés » et « Présentation de pétitions » demandent régulièrement et obtiennent souvent le consentement unanime pour revenir à la rubrique en question.
Avec le consentement unanime de la Chambre, on a fait franchir à des projets de loi plus d’une étape en une seule journée et on les a renvoyés à un comité plénier plutôt qu’à un comité permanent407 ; on a même obtenu le consentement unanime pour modifier un projet de loi408.
Pendant des votes par appel nominal, on a demandé le consentement unanime pour appliquer les résultats d’un vote à un autre vote409, procéder au vote par rangée410 ou appliquer les votes des députés à des votes subséquents411. Du consentement unanime, des votes par appel nominal ont été réputés demandés et différés412. Un député peut aussi demander le consentement unanime afin de déposer un document dont il a été question au cours du débat, ce qui est contraire à la pratique habituelle413.
Il y a également eu des utilisations plus inhabituelles du consentement unanime. Par exemple, au début de la troisième session de la 34e législature (1991-1993), on a obtenu le consentement unanime pour réinscrire au Feuilleton deux projets de loi de la session précédente, à l’étape où ils en étaient lors de la prorogation du Parlement414. On a aussi reconstitué des comités avec le consentement unanime de la Chambre à seule fin de mener à terme des projets entrepris au cours de la session précédente415 et on a reporté du consentement unanime l’entrée en vigueur de modifications au Règlement416.
Deux articles du Règlement traitent explicitement du consentement unanime. Le premier dispose qu’« un député qui a fait une motion ne peut la retirer qu’avec le consentement unanime de la Chambre417 ». Cette obligation existe depuis la Confédération et est fondée sur le principe selon lequel toute motion devient, une fois présentée, la propriété de la Chambre. Cela s’applique également aux amendements et aux sous-amendements.
En vertu du second article, si, au cours d’une séance, le consentement unanime est refusé pour la présentation d’une motion pour affaire courante, un ministre peut, pendant les Affaires courantes (sous la rubrique « Motions418 »), demander sans préavis que la présidence propose la question à la Chambre419. Cette demande peut être présentée plus tard au cours de la même séance ou lors d’une séance ultérieure de la Chambre420. Lorsque la demande est présentée, la motion est mise aux voix sur-le-champ, sans débat ni amendement421. Si 25 députés ou plus se lèvent pour indiquer qu’ils s’y opposent, la motion est considérée comme retirée ; sinon, elle est adoptée422. Les motions pour affaires courantes auxquelles ce processus s’applique portent, entre autres, sur les questions suivantes :
- l’observation du décorum de la Chambre ;
- le maintien de son autorité ;
- l’administration de ses affaires ;
- l’agencement de ses travaux ;
- la détermination des pouvoirs de ses comités ;
- l’exactitude de ses archives ;
- la fixation des jours où elle tient ses séances ainsi que des heures où elle les ouvre ou les ajourne423.
Cet article du Règlement a été contesté avant son adoption en 1991424 et les deux premières fois où on l’a invoqué425. Depuis, on l’a invoqué à différentes reprises après que des motions pour affaires courantes ont été refusées du consentement unanime426. En 2001, on a tenté d’y avoir recours pour prédéterminer le résultat de tous les votes suivant le premier vote par appel nominal sur le Budget principal des dépenses. Cela a mené à une décision cruciale du Président dans laquelle il déconseillait aux députés d’essayer d’invoquer l’article 56.1 du Règlement « pour contourner le processus décisionnel de la Chambre427 ». En 2007 et en 2014, la présidence a de nouveau jugé irrecevables d’autres tentatives visant à invoquer cet article pour diriger les travaux d’un comité permanent428.
Les limites du consentement unanime
Malgré la variété des usages dont il a fait l’objet, il ne faut pas présumer que le consentement unanime permet de contourner n’importe quelle règle ou pratique de la Chambre. Il y a des limites à son application. Par exemple, on ne peut recourir au consentement unanime pour faire fi des dispositions de la Loi constitutionnelle ou d’un autre texte législatif. Une disposition législative a préséance sur tout ordre de la Chambre auquel elle s’applique429. Les députés ont parfois fait remarquer en cours de débat que la Chambre ne pouvait recourir au consentement unanime pour agir illégalement430.
La procédure liée à la recommandation royale met en relief le fonctionnement de cette interdiction. L’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose qu’il doit y avoir une recommandation royale431 pour chaque vote, résolution, adresse ou projet de loi visant l’affectation de deniers publics. Cette disposition constitutionnelle est reprise dans le Règlement432. La procédure s’applique également au quorum de la Chambre des communes, lequel est précisé à l’article 48 de la même loi et repris dans le Règlement433. Le Règlement est un ensemble de règles créées par la Chambre pour sa propre gouverne ; elle peut donc passer outre à certains articles du consentement unanime, ce qu’elle ne peut faire dans le cas d’une disposition constitutionnelle. Cela a été souligné dans un certain nombre de décisions du Président434.
Le rôle du Président
La façon de demander et d’accorder le consentement unanime obéit à une procédure stricte. La présidence doit donc faire preuve de méticulosité lorsqu’il s’agit de l’appliquer sans délai435. Par exemple, un député désirant passer outre à l’avis requis pour présenter une motion de fond demande le consentement unanime de la Chambre « pour proposer la motion suivante », qui est alors lue in extenso436. Le Président demande ensuite si la Chambre consent unanimement à ce que le député présente sa motion. Si une voix dissidente s’exprime, le Président conclut qu’il n’y a pas consentement unanime et l’affaire ne va pas plus loin, bien qu’il soit permis d’essayer de nouveau d’obtenir le consentement unanime437. Si aucune dissidence n’est exprimée, le Président conclut qu’il y a consentement unanime pour la présentation de la motion, puis demande s’il plaît à la Chambre de l’adopter. Bien que, à ce moment, il soit d’usage que la Chambre rende une décision sur la motion ; techniquement, un débat sur la motion est encore possible438.
Lorsque les intentions de la Chambre ne sont pas claires, le Président demande de nouveau s’il y a consentement unanime439. Si le Président l’entend, une seule voix dissidente suffit pour empêcher le consentement unanime ; le Président a d’ailleurs rappelé aux députés de manifester clairement leurs intentions lorsqu’ils ne veulent pas accorder ce consentement440. La présidence veille uniquement à déterminer s’il y a ou non unanimité ; lorsqu’une dissidence s’exprime, il ne convient pas de spéculer au sujet de sa source ni d’essayer de l’identifier441.
Une décision ne constitue pas un précédent
Aucune décision prise par la Chambre du consentement unanime ne constitue un précédent. Toutefois, les ordres ou résolutions présentés ou adoptés avec le consentement unanime traduisent la volonté de la Chambre et sont tout aussi exécutoires que les autres ordres ou résolutions de la Chambre. Le consentement unanime offre à la Chambre un moyen d’agir sans délai ; par exemple, après avoir consenti unanimement à la présentation d’une motion sans avis, elle doit rendre une décision sur la motion de la même façon qu’elle le ferait pour toute autre motion dont elle est saisie.